Modélisation numérique de la formation d'un faisceau de particules à haute énergie (100 keV - 1 MeV) pour ITER & le CERN

contact : Adrien Revel & Tiberiu Minea

1. Application à l’Injecteur de Neutres (IdN) pour ITER

L’équipe ‘Théorie et Modélisation des Plasmas - Décharges et Surfaces’ (TMP-D&S) travaille depuis une dizaine d’années sur la modélisation de certains sous-ensembles du projet ITER, et plus récemment avec des perspectives pour la future installation DEMO. Il s’agit du développement d’un ensemble de trois modèles (un protégé sous licence CNRS, Université Paris-Saclay, CEA) qui modélise en trois dimensions (3D) d’espace et 3D dans l’espace des vitesses sur dix mètres environ. Ces modèles décrivent numériquement la propagation du faisceau de particules énergétiques dans l’Injecteur de Neutres (IDN) pour le chauffage des espèces lourdes du plasma de cœur d’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Les résultats renseignent sur les mécanismes physico-chimiques dans l’IDN et les comparaisons avec des résultats expérimentaux (Max Planck – IPP, Garching, Allemagne) ont permis la validation du modèle d’extraction d’ions négatifs (ONIX). Ce projet de grande envergure a mobilisé plusieurs personnes de l’équipe et sa réalisation a été possible grâce aux projets Européens (F4E – Fusion for Energy, EURATOM, EFDA), FR-FCM : Fédération de Recherche sur la Fusion Contrôlée Magnétique - CEA /CNRS, la collaboration bilatérale LPGP(CNRS, France)/IPP(Max Planck, Allemagne), l’ANR ITER-NIS et l’Université Paris-Saclay.

Plus précisément, l’IDN doit fournir non seulement une partie de l’énergie du plasma de cœur de fusion, particulièrement aux espèces lourdes (hydrogène et ses isotopes), mais également transférer du moment cinétique (‘current drive’ – en anglais) ce qui devrait permettre de travailler dans les modes de confinement avancés (H-modes). Le schéma d’ensemble de l’IDN est présenté sur la Figure 1.

iter.png
 
Figure 1 – Schéma de principe de l’Injecteur de Neutres pour ITER



Trois codes particulaires (Particle-In-Cell Monte Carlo Collision : PIC-MCC) 3D ont été réalisés pour trois régions spécifiques de l’IdN.

•   ONIX (Orsay Negative Ion eXtraction)
Ce modèle numérique simule l’extraction d’ions négatifs (IN) d’un plasma électronégatif (hydrogène ou déutérium) à travers une aperture (diamètre typique 14 mm) par des forts champs électriques (~1 kV/mm). ONIX prend en compte les deux mécanismes de production d’ions négatifs – en volume et par attachement électronique à la surface de la grille plasma.
L’extraction d’IN des plasmas électronégatifs est une problématique d’importance en physique des plasmas. Particulièrement, si le courant recherché doit être fort (plusieurs Ampères) l’efficacité de l’extraction d’INs devient cruciale, comme c’est le cas pour le bon fonctionnement de l’IdN qui devra fournir au plasma de fusion d’ITER 2x35 MW.
Les résultats numériques récents montrent un très bon accord avec les mesures expérimentales, à la fois pour le courant d’ions négatifs extrait du plasma et pour le courant d'électrons co-extrait. L'approche particulaire utilisée pour ONIX a été testée pour des plasmas de densité (~1018 m-3) à l’aide des calculs massivement parallèles (4096 CPUs - IPP) et validée par la confrontation à l’expérience, notamment sur l’installation prototype (échelle réduite 1/8 de ITER) BATMAN du IPP (Institut für PlasmaPhysik, Garching, Allemagne). Une collaboration bilatérale LPGP/IPP (Prof. U. Fantz) a été mise en place depuis 2012.
Ces résultats indiquent sans ambiguïté le besoin d’un modèle tridimensionnel exigé par le filtre magnétique obtenu par la superposition de deux configurations magnétiques orthogonales. ONIX permet également de décrire la distribution 3D de la charge d’espace qui se forme devant la grille plasma et qui influe directement les trajectoires des INs extraits. De plus, il prédit les aberrations du faisceau en formation qui se propagent et s’accentue par la suite dans l’accélérateur.
A titre d’exemple la Fig. 2 montre les courants extraits d’ions négatifs pour le cas standard, en fonction de la localisation d’origine des ions (S. Mochalskyy, D. Wünderlich, U. Fantz, P. Franzen, T. Minea. Comparison of ONIX Simulation Results and Experimental Data from the BATMAN testbed for Study of Negative Ion Extraction, 2016 Nucl. Fusion 56, 106025; doi:10.1088/0029-5515/56/10/106025).

•    ONAC (Orsay Negative ion ACcelerator)

Ce modèle se focalise sur la partie « accélération » de l’IdN. Les ions négatifs extraits de la source ainsi que les électrons co-extraits sont soumis à un puissant champ électrique (1 MV – 50 cm). Un champ magnétique est ajouté afin de dévier les électrons co-extraits. ONAC est un code 3D PIC-MCC qui modélise les trajectoires des particules extraites de la source jusqu’à la fin de l’accélérateur (A. Revel, S. Mochalskyy, L. Caillault, A. Lifschitz, T. Minea. Transport of realistic beams in ITER neutral beam injector accelerator, 2013 Nucl. Fusion 53, 073027, doi :10.1088/0029-5515/53/7/073027).

•    OBI (Orsay Beam Injector)

Le modèle OBI étudie la neutralisation des ions négatifs accélérés par collision avec un gaz. Ces collisions entrainent l’apparition d’un plasma qui devient plus dense que le faisceau d’ions négatifs. Cela permet d’écranter la répulsion coulombienne du faisceau et ainsi de grandement réduire sa divergence.



2. Application la source Linac4 du CERN

Le modèle ONIX a été adapté pour décrire l’extraction d’ions négatifs de la source plasma de très haute densité (degré d’ionisation > 50%) du CERN,en vue de leur injection dans le nouvel accélérateur linéaire Linac4 (S. Mochalskyy, J. Lettry, T. Minea, S. Mattei, Ø. Midttun, Study of the different Cs conditioning states of the Linac4 negative hydrogen ion source by 3D PIC-MCC numerical simulations using ONIX code, NIBS 2014 – 4th International Symposium on Negative Ions, Beams and Sources, October 6 –10; Garching, Germany). Notons que la prédiction d’ONIX réalisée en 2012, bien avant l’achèvement de la construction de la source CERN, a été confirmée en novembre 2013 lors des premières mesures expérimentales conduites par le Prof. J. Lettry, comme le montre la Fig. 5 (S. Mochalskyy, J. Lettry, T. Minea, Beam formation in cesiated surfaces and volume accelerator ion-source 2016 New Journal Phys. 18 085011; doi:10.1088/1367-2630/18/8/085011).

cern2.png

Figure 2 - (gauche) Courant d’ions négatifs extraits prédit par le modèle OBI3. (droite) Courant d’ions négatifs mesuré au CERN.