Caractérisation expérimentale du plasma magnétron

contact : Tiberiu Minea

Bien que le plasma magnétron soit largement utilisé couramment comme outil technologique pour les revêtements de surfaces, la physique qui gouverne ces plasmas haute densité - basse pression est seulement partiellement comprise. Les difficultés sont inhérentes à tous les plasmas dits E x B, qui sont produits dans des structures de champs électrique et magnétique croisés.

Cette décharge est toujours étudiée de manière fondamentale depuis sa découverte il y a plus de 50 ans. Les ions positifs du plasma sont accélérés vers la cathode (ou cible) entraînant la pulvérisation des atomes qui la composent. Ces derniers vont alors traverser le plasma et se déposer vers l’anode (ou substrat) créant ainsi un dépôt. La particularité du magnétron est la faible pression de travail possible par l’ajout d’un champ magnétique qui piège efficacement les électrons augmentant de fait le taux d’ionisation du gaz (en général d’Argon). L’avènement des nouvelles façons de transmettre la puissance électrique au plasma, notamment par l’application des impulsions de haute puissance (High Power Impulse Magnetron Sputtering - HiPIMS) a ouvert des nouveaux horizons et potentialités pour ces plasmas. Le plasma HiPIMS élargit considérablement les phénomènes à explorer par l’ajout d’une dimension temporelle qui sépare les phases d’ionisation du gaz, de pulvérisation, et d’ionisation de la matière pulvérisé. Ainsi, les propriétés des films obtenus se trouvent améliorées [1].

Le LPGP s’attèle depuis de nombreuses années à la compréhension des différents mécanismes à l’œuvre dans le magnétron que ce soit au niveau du plasma ou du transport de la matière pulvérisée. L’une des principales difficultés réside dans l’inaccessibilité des mesures expérimentales au plus proche de la cathode, là où les champs électrique et magnétique sont les plus intenses. Toutefois, les dernières avancées réalisées par diffusion Thomson ont permis d’apporter des éléments de réponse sur les instabilité présentes dans cette région, les dérives des électrons et leur impact sur le comportement de la décharge.



1) Nouveau Mode de fonctionnement des plasmas E x B

Les études menées au LPGP sur les décharges magnétron impulsionnel haute puissance (HiPIMS pour High Power Impulse Magnetron Sputtering) ont accompagné le développement de ces décharges depuis leur mise en œuvre, dans les années 2000. A présent le magnétron HiPIMS est devenu un outil versatile permettant non seulement d’améliorer la qualité des films déposés, mais aussi de mieux contrôler les conditions de croissance et d’obtenir, dans certains cas, des arrangements atomiques quasi-parfaits, tels que la croissance epitaxiée [2] (voir Films ultra-minces).

Suivant une approche  -  Physique des Décharges  -  on trouve le régime HiPIMS comme une extension du régime de décharge luminescente anormale, à la fois vers les hautes tensions et vers les forts courants. En effet, pour une tension typiquement 2 à 3 fois supérieure au fonctionnement conventionnel des décharges magnétron, le courant en mode HiPIMS est 100 à 1000 fois supérieur, mais avec un rapport cyclique de 100 à 1000, afin que la densité moyenne de courant sur la cathode (cible) soit équivalente.  Toutefois, cette extension reste relativement réduite, car en essayant d’augmenter la tension de fonctionnement et surtout la densité de courant (> 10 A cm-2), la décharge HiPIMS évolue inévitablement vers l’arc électrique. Cette transition est facilement identifiable par une chute brutale de la tension, simultanée à l’augmentation du courant [3]. 

Une question ouverte en physique des décharges, jusqu’à présent, est le fonctionnement d’un plasma en mode luminescent, mais avec des densités de courant qui dépassent les 10 A cm-2.

Nous avons trouvé les conditions pour un tel fonctionnement, parfaitement distinct du régime anormal, mais aussi du bien connu arc électrique. Ce régime est caractérisé par des très fort courants, typique pour les arcs électriques (jusqu’à 50 A cm-2), tout en préservant l’opération en mode luminescent (‘glow’), c’est-à-dire sans formation de spots cathodiques, sans éjectas de particules, et surtout sans chute de la tension en deçà de 100V.

Ce nouveau mode a été nommé Hyper Power Impulse Magnetron [4] (HyPIM glow discharge). En effet, en diminuant la tension de 2/3 par rapport au HiPIMS, le courant de décharge dans une même configuration E x B de type magnétron, le courant de décharge augmente d’un facteur 6 par rapport au mode HiPIMS couramment enregistré. Clairement, ces points de fonctionnement se trouvent dans la région typique de l’arc électrique, comme le montre la figure ci-dessous (points bleu).

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Figure 1 - Les points bleu montre le fonctionnement des décharges luminescentes en configuration E x B dans la région historiquement correspondant aux arcs électriques [4].

Ce mode de fonctionnement a été vérifié avec trois matériaux cible (carbone (C), molybdène (Mo) et tungstène (W)) sous atmosphère d'hélium 10-30 Pa. Deux conditions critiques ont été identifiées comme nécessaires pour atteindre le mode HyPIM :

  • la tension de décharge doit être limitée
  • un faible courant de pré-ionisation est indispensable avant l’application de l’impulsion.

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Figure 2 - Décharge luminescente en mode HyPIM, avec une densité de courant de 30 A cm-2.



2) Diagnostic des plasmas magnétron et des instabilités

Le diagnostic des plasmas magnétron et mode impulsionnel exige à la fois une résolution temporelle (< 1 µs) et spatiale imposée par les forts gradients de champs (électrique et magnétique) qui régissent le transport et l’ionisation des espèces dans une région localisée devant la cathode, dite zone d’ionisation.

Les techniques de diagnostic avancées utilisant les lasers et la spectroscopie répondent à ces exigences. Les diodes laser solides ont une finesse de raie telle qu’il est possible de discerner le profil spectral des raies sondées. Ainsi, pour des particules énergétiques, telles que celles issues de la cible lors de la pulvérisation, il est aisé de mesurer la densité et leur vitesse obtenue à partir de l’élargissement Doppler, donc de mesurer les flux de ces espèces. Suivant la longueur d’onde, ces techniques d’absorption laser ou de fluorescence induite par laser peuvent renseigner sur le comportement du gaz plasmagène, des états excités (notamment métastables), des ions, des neutres pulvérisés, ou encore des ions du matériau cible formés après leur passage dans la zone d’ionisation. La précision de ces mesures a permis d’évaluer les sections efficaces d’interaction métal-gaz (e.g. Titane – Argon) dans un magnétron [5].



Diffusion Thomson  - mesure de la densité et de la dérive des électrons ainsi que des instabilités du plasma HiPIMS

La connaissance précise de la densité électronique locale dans les pièges magnétiques est très importante pour comprendre le comportement des plasmas confinés, tel le plasma magnétron. Le seul diagnostic non-intrusif semble être la diffusion Thomson qui a été employée avec succès pour la mesure de la densité et de la température des électrons dans le piège magnétique des plasmas E x B. [6] De plus, cette technique est suffisamment résolue en temps pour suivre l’évolution des paramètre électroniques dans les décharges HiPIMS. Elle permet aussi de mesurer la vitesse et le sens de dérive des électrons, en différents régimes de décharge et apporte un éclairage nouveau sur les plasmas magnétisés.

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Figure 3 -Densité (bleu) et température (orange) électronique mesurées à différents instants pendant les 60 µs de durée de pulse. Le profil du courant HiPIMS est reporté.

De plus, la diffusion Thomson, cette fois-ci cohérente, a permis d’identifier un comportement similaire à celui modélisé par PIC-MCC avec l’approche Pseudo-3D [7]. Un pic de fréquence est obtenu par transformée de Fourier du signal – mesuré ou calculé pour la densité électronique – dans la gamme des MHz (la pulsation plasma est dans la gamme des GHz). Ces fluctuations sont orientées en direction normale à la cathode (voir figure 4). La modélisation montre des gerbes d’électrons en direction normale, contribuant au déconfinement du plasma. Une autre direction, presque parallèle à la cathode montre une grande amplitude des fluctuations électroniques, correspondant à la dérive des électrons. [8]

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Figure 4. Résultats de diffusion Thomson collective (a) amplitude et (b) fréquence en fonction de l’orientation angulaire dans le plan (EE x B). O représente le centre de la cathode. DC : Ucath = 370 V, I = 0.4 A; le nombre d’onde  k = 5600 rad/m.5

[1] Daniel Lundin, Tiberiu Minea, Jon Tomas Gudmundsson, Editors – High Power Impulse Magnetron Sputtering: Fundamentals, Technologies, Challenges and Applications - 1st Edition, ISBN: 9780128124543, Elsevier, 2019
[2] F. Cemin, G. Abadias, T. Minea, D. Lundin, Tuning HiPIMS discharge and substrate bias conditions to reduce the intrinsic stress of TiN thin films, Thin Solid Films 688 (2019) 137335
[3] E. Morel, Y. Rozier, Ch. Ballages, R. Bazinette, T. Forchard, C. Creusot, A. Girodet, T. Minea, Behavior of high current density pulsed magnetron discharge with carbon target, Plasma Sources Sci. Technol. 30 (2021) 125001
[4] E. Morel, T. Minea, Y. Rozier, Hyper Power Impulse Magnetron - HyPIM -glow discharge, Euro. Phys. Lett. (EPL) 138 (2022) 24001
[5] A. Revel, T. Minea, C. Costin,. 2D PIC-MCC simulations of magnetron plasma in HiPIMS regime with external circuit, 2018, PSST, 27, 105009.
[6] S. Tsikata, B. Vincent, C. Ballage, A. Revel, and T. Minea, Time-resolved electron properties of a HiPIMS argon discharge via incoherent Thomson scattering, 2019 Plasma Sources Sci. &Technol. 28(3) (2019) 03LT02
[5] M. Rudolph, A. Revel, D. Lundin, H. Hajihoseini, N. Brenning, M. Raadu, A. Anders, T. Minea, JT Gudmundsson, On the electron energy distribution function in the high power impulse magnetron sputtering discharge, 2021 Plasma Sources Sci. Technol. 30, 045011
[6] A. Revel et. al.Transition from ballistic to thermalized transport of metal-sputtered species in a DC magnetron, 2021, PSST, 30, 125005.
[7] A. Revel, T. Minea, and S. Tsikata Pseudo-3D PIC modeling of drift-induced spatial inhomogeneities in planar magnetron plasmas 2016 Phys. Plasmas 23, 100701
[8] S. Tsikata and T. Minea, Modulated Electron Cyclotron Drift Instability in a High-Power Pulsed Magnetron Discharge, 2015 Phys. Rev. Lett. 114, 185001